KINO VISEGRAD

entretien avec Ivan Saoutkine, réalisateur de « Poème pour les gens ordinaires »

Le regard vif et les yeux cernés, la moustache en guidon, l’haleine du tabac. C’est ainsi que s’est présenté Ivan Saoutkine au cinéma Les 7 Parnassiens, pour l’avant-première de son documentaire « Poème pour les gens ordinaires », tourné au cours de l’année 2023 et nous immergeant au nord puis à l’est de L’Ukraine en proie à la guerre, à la rencontre des petites gens vivant quotidiennement avec les bombardements depuis plus de deux ans. Souriant, le cinéaste, co-fondateur du collectif Babylon’13, a immédiatement accepté de répondre à un entretien.
Comment en êtes-vous arrivé à Babylon’13 ?
C’était en 2014, pendant la révolution du Maïdan à Kyiv. C’est là qu’avec six autres cinéastes nous avons fondé Babylon’13. En pleine contestation, nous nous sommes réunis, en se disant qu’il ne faudrait pas qu’on reste de simples manifestants : nous étions des professionnels du cinéma, alors on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose de plus. On a immédiatement commencé à filmer, au début avec de simples appareils photos. On a posté de nombreux films sur une chaine YouTube dès 2013, et rapidement beaucoup de réalisateurs, des professionnels comme des étudiants nous on rejoint.
Pourquoi avoir choisi le format du cinéma-vérité ?
On n’a pas choisi, c’est la forme qui est venue à nous, c’était instinctif. Dans le documentaire, je n’aime pas les voix-off. Aussi, contrairement aux médias de masse, on ne travaille pas avec des faits mais avec des humains, avec des émotions humaines. Les faits, ça se diffuse, ça se trafique, ça se contourne… Avec les émotions humaines, on pas d’autre choix que celui d’être honnête. Depuis deux ans, tout a changé. Faire un documentaire, c’est surtout observer le réel. Or avec la guerre nous découvrons une nouvelle réalité… Tout a changé.
Avec « Poème pour les gens ordinaires », comment avez-vous tourné, comment avez-vous rencontré vos personnages ?
J’étais seul au tournage. J’avais une caméra équipé d’un micro externe, et c’est tout. Quand la guerre a commencé, j’avais un séminaire dans le nord de l’Ukraine, près de Tchernihiv. Mais avec ma famille nous sommes descendus nous réfugier en Transcarpatie, tout à l’ouest de l’Ukraine. Ensuite les russes se sont retirés de la région de Tchernihiv, alors j’y suis retourner. J’y ai rencontré cette dame, âgée et affaiblie, qui écrivait des poèmes en russe, pour les lires aux soldats de Moscou et leur dire le mal qu’ils faisaient ici. C’est là que j’ai commencé à filmer. Ensuite je suis allé dans l’est, ou j’ai rencontré Anton, le chef des volontaires qu’on voit dans le film, et qui est initialement directeur de la photographie. C’est avec son équipe que j’ai commencé à travailler, en les suivant effectuer leurs évacuations. Le tournage a duré un an et demi.
Depuis le début de la guerre nous voyons sortir en France un nombre croissant de documentaires ukrainiens. Pensez-vous que la guerre a créé une nouvelle génération de cinéastes ?
Oui. Le secteur du documentaire en Ukraine grandi chaque jour et il y a de plus en plus de gens qui souhaitent faire des films documentaires, je crois qu’il y en a même plus que de gens qui veulent faire de la fiction. Parce que le temps que nous vivons est unique, et nous voulons transmettre ce que nous ressentons, ce que nous vivons, au public européen. Quelle atmosphère y a-t-il tous les jours en Ukraine ? Que font les gens dans leurs vies de tous les jours ? Ce sont des questions que ne se posent pas les grands médias. Eux, ils montrent des immeubles qui brulent, des villages détruits, des cartes… Mais ils ne disent pas ce qu’il y a à l’intérieur… Moi, je voulais aller là où ils ne vont pas, pour montrer la vie, montrer comment les ukrainiens ordinaires vivent cette guerre.

Entretien réalisé par Boyan Buée à l’occasion de l’avant-première française de « Poème pour les gens ordinaires », le 3 mai 2023.

La projection a eu lieu dans le cadre du projet Babylon Villeneuve 2024, mis en œuvre par Babylon’13 et UUF, et est cofinancé par le programme ZMINA : Rebuilding. Ce programme a été créé avec le soutien de l’Union européenne dans le cadre d’un concours spécial de projets visant à soutenir les personnes déplacées ukrainiennes ainsi que les secteurs culturels et créatifs ukrainiens. Il bénéficie également du soutien d’IZOLYATSIA, de Trans Europe Halles et de Malý Berlín.